21 mai 2025
Texte Noëlle Bittner
Journaliste et autrice passionnée, reconnue pour son expertise dans l'art de vivre, Noëlle Bittner collabore aussi à Cosy Mountain depuis de nombreuses années, une chance pour le titre tant sa vision est claire et sa plume alerte. À travers ses écrits, elle capture l'essence des lieux enchanteurs qu’elle visite – une vraie reporter est sur le terrain –, tout en partageant – quand il le faut – des conseils pratiques et des récits inspirants sur la manière de vivre en parfaite harmonie avec son environnement. Son approche douce et raffinée fait d'elle une véritable papesse de l’art de vivre, y compris en montagne, qu’elle a toujours pratiquée, visitée, commentée. Pour nous et ce numéro collector elle a accepté de se replonger dans ses souvenirs montagneux. Les montagnes de sa vie, l’une de ses voies…
Mes premiers skis
Des Kandahar rouges, en bois. Pour mesurer la bonne taille, on se tenait debout, bien droite, le bras levé, la pointe du ski devait arriver au milieu de la paume. C’était grand ! Drôlement encombrant pour tourner. On enfonçait sa chaussure entre deux plaques de métal et on serrait la lanière de cuir. On coinçait la boucle dans le talon et on bloquait la fixation à l’avant, clac ! Les débutants pouvaient avoir des skis un peu plus courts, la honte…
La tarte aux brimbelles
Les étés pouvaient être très chauds dans les Vosges. Alors on partait à bicyclette vers les Hauts. Maman devant, toute droite et très grande sur sa bicyclette avec selle rembourrée, houssée de coton blanc. Ma sœur et moi suivions. En haut des côtes, on retenait notre machine pour lui laisser de l’avance et on se lançait dans la descente, sans les pieds, sans les mains. Parfois on essayait sans rien du tout, le moindre trou était fatal ! Maman ne se retournait jamais. Sur la grand’route, on croisait peu de voitures, on les connaissait, la 203 bâchée du ferronnier, la Dynah Panhard du fils de la filature. À Ventron, on quittait la nationale pour grimper la petite route vers L’Ermitage Frère Joseph. On traversait une forêt de sapins d’où s’échappaient des bouffées d’air froid. Des fermes s’étageaient sur la pente, avec leur four à pain sur la façade, le tas de fumier devant les « charrues » (l’étable). On terminait debout arc boutée sur les pédales en zigzagant dans l’effort. À celle qui capitulerait la dernière. Deux épingles avant le sommet, on mettait pied à terre. Là-haut, il faisait frais, la clairière était tapissée de buissons de myrtilles qui vous griffaient les mollets. La ferme-auberge était tenue par la famille Leduc, 11 enfants dont Thérèse, la future championne des Jeux de Squaw Valley 1960. Bien avant les sœurs Goitschel. Dans la salle fraîche et sombre, on servait la tarte aux myrtilles – on disait la tarte aux brimbelles – qui vous teignait en violet le museau et les doigts. Avant de redescendre, on passait par la petite chapelle de Frère Joseph, l’ermite avait vécu là. Juste le temps d’un signe de croix vite fait dans l’air glacé d’humidité, même en plein été.
L'eagle club
À Gstaad, il y avait l’Eagle Club. On en était ou pas. Une sorte de visa pour être convié aux soirées du Palace. Perché au sommet du Wasserngrat, le club lui-même n’avait rien de remarquable, mais ce qui valait le coup d’œil c’était le spectacle dès qu’on débarquait du télésiège. Je revois la scène comme quand j’avais douze ans. Imaginez, dans les effluves d’Huile de Chaldée de Jean Patou, une longue rangée de chaises longues, toutes orientées plein soleil. Des femmes allongées sur leur vison dont les pattes, pardon les manches traînent mollement dans la neige. Elles portent une immense collerette (un peu comme celle qu’on met aux chiens pour les empêcher de se gratter), un réflecteur argenté censé accélérer le bronzage… Dans leur cage d’argent, elles ne se voient pas, se parlent à peine, n’esquissent pas un geste, uniquement préoccupées de présenter un visage lisse au soleil. On imagine la photo qu’aurait fait Horst P. Horst, ou Helmut Newton ou aujourd’hui Martin Parr !
Les amis de papa
À Gstaad, il y avait l’Eagle Club. On en était ou pas. Une sorte de visa pour être convié aux soirées du Palace. Perché au sommet du Wasserngrat, le club lui-même n’avait rien de remarquable, mais ce qui valait le coup d’œil c’était le spectacle dès qu’on débarquait du télésiège. Je revois la scène comme quand j’avais douze ans. Imaginez, dans les effluves d’Huile de Chaldée de Jean Patou, une longue rangée de chaises longues, toutes orientées plein soleil. Des femmes allongées sur leur vison dont les pattes, pardon les manches traînent mollement dans la neige. Elles portent une immense collerette (un peu comme celle qu’on met aux chiens pour les empêcher de se gratter), un réflecteur argenté censé accélérer le bronzage… Dans leur cage d’argent, elles ne se voient pas, se parlent à peine, n’esquissent pas un geste, uniquement préoccupées de présenter un visage lisse au soleil. On imagine la photo qu’aurait fait Horst P. Horst, ou Helmut Newton ou aujourd’hui Martin Parr !
Les ballons des vosges
Par une belle journée d’hiver, on montait faire du ski de fond sur la ligne des Crêtes. Le panorama apparaissait si graphique, pas un arbre, pas un relief… Dans la ligne d’horizon des Ballons, on croyait voir la courbure de la terre.
La galerie d'art du pire au meilleur
À Gstaad, il y avait l’Eagle Club. On en était ou pas. Une sorte de visa pour être convié aux soirées du Palace. Perché au sommet du Wasserngrat, le club lui-même n’avait rien de remarquable, mais ce qui valait le coup d’œil c’était le spectacle dès qu’on débarquait du télésiège. Je revois la scène comme quand j’avais douze ans. Imaginez, dans les effluves d’Huile de Chaldée de Jean Patou, une longue rangée de chaises longues, toutes orientées plein soleil. Des femmes allongées sur leur vison dont les pattes, pardon les manches traînent mollement dans la neige. Elles portent une immense collerette (un peu comme celle qu’on met aux chiens pour les empêcher de se gratter), un réflecteur argenté censé accélérer le bronzage… Dans leur cage d’argent, elles ne se voient pas, se parlent à peine, n’esquissent pas un geste, uniquement préoccupées de présenter un visage lisse au soleil. On imagine la photo qu’aurait fait Horst P. Horst, ou Helmut Newton ou aujourd’hui Martin Parr !
L'humain, toujours l'humain
Les petits musées montagnards, je les trouve touchants. Certes, tous ne sont pas à la hauteur de mes attentes – trop de moules à beurre, pas assez d’histoires vraies, comme les débuts du ski au village ou la vie à la ferme autrefois, car c’est l’humain, encore et toujours l’humain qui nous retient, et malgré l’éclairage réduit à trois ampoules et l’accrochage incertain, j’aime passer du temps devant ces photos anciennes, ces lettres, ces films en Super 8 un peu tressautants. Un de mes préférés, le musée montagnard de Saint-Martin-de-Belleville. D’autant plus qu’il a pris racine dans une vieille maison, ce qui ajoute à son charme.
La grande banalisation
Chaque fois qu’on annonce un nouvel hôtel, un programme de chalets plus somptueux que jamais, je m’attends à être éblouie, transportée dans un rêve de montagne… déception, quand l’hôtel, le chalet pourrait être n’importe où ailleurs ! À grands renforts de bois, de pierre, de fourrure et de peaux de bête, on croit faire « montagne » et on accouche d’un décor impersonnel, écœurant de richesse, argh ces lustres en cascade, ces salles de bains de marbre… tout l’inverse de l’esprit montagne ! Et pourtant, on le trouve cet esprit montagne qui fait chaud au cœur et vous fait vous sentir arrivé dès que vous poussez la porte. Entrez dans le dernier chalet Sibuet à Megève, le Chalet du Skieur qui reprend les codes de Henri Jacques Le Même, allez aux Arcs et à Avoriaz bien sûr, deux stations dont l’architecture se nourrit de la montagne. Découvrez le Bregenzerwald en Autriche, où les hôtels bicentenaires se greffent une aile contemporaine en bois. Cet esprit montagne n’est ni dans le pastiche de l’ancien, ni dans le cliché montagnard, il a de l’audace et du talent, il ne se démode pas car il parle vrai.
Mon ski d'amérique
Quand notre petite famille a déménagé à New-York, dans les années 90, nous étions bien résolus à vivre le meilleur de l’Amérique. Dès le premier hiver, nous avons appliqué le programme avec quelques week-ends dans le Vermont. Pour vous résumer, le Vermont sous la neige, c’est ravissant pour se balader, mais assez détestable pour skier : la neige ? c’est glace ou gadoue. Les pistes sont si courtes qu’on est tout de suite en bas, ce qui ne les empêche pas d’être souvent raides à faire peur. Par contre, les villages sont adorables, pleins de petits Inns et de B&B, on se réveille au frétillement du bacon dans la poêle, au parfum des gaufres brûlantes arrosées de sirop d’érable… De Thanksgiving à Christmas, c’est Noël, des couronnes de sapin, de baies d’airelles, des nœuds rouges à toutes les portes, des chorales parcourent les rues, les boutiques regorgent de petits cadeaux, on dirait que les habitants sont habités par le « do it yourself », on ne compte plus les bonnets à pompons, les mugs peints à la main, les bougeoirs en bois de cerf, tandis que flotte l’écœurant parfum des bougies à la cannelle.
La grande banalisation
Je n’aurais jamais imaginé qu’une station fabriquée de toutes pièces puisse être aussi craquante… imaginez Vail, un village autrichien entièrement fantasmé. Des maisons pistache, framboise, jaune, bleu ciel et des enseignes en fer peintes comme à Innsbruck. Les boutiques vendent de ravissants lodens, des vestes de chasse, des chaussures de cuir lacées, brodées d’edelweiss et la tenue complète du Tracht, le costume autrichien, blouse décolletée enserrée dans un corset, les seins offerts comme sur un plateau, et longue jupe froncée avec tablier. Pour être au plus près des pistes, il faut séjourner une douzaine de virages plus haut, à Beaver Creek, « hameau » d’altitude, tout aussi fake et bien fait. Dans le hall de l’énorme Park Hyatt, le lustre en bois d’élans et de cerfs a la circonférence d’une table de 18 couverts, dehors, un énorme brasero et des carafes de punch sans alcool attendent le retour des skieurs. Des étudiants bondissants, habillés de blanc jusqu’au béret façon chasseur alpin se précipitent pour vous libérer de vos chaussures de ski et vous glisser des pantoufles de neige… Vail a le plus beau massif de pistes des Rocky Mountains et la courtoisie règne dans la file d’attente. On ne se marche pas sur les spatules. Si vous aimez le ski de fond (encore trop souvent relégué en bas des stations chez nous), ici vous allez l’adorer ! Le domaine de ski de fond occupe tout un sommet, à près de 3000 m. Au début, on respire façon petit chien puis on s’habitue. On vous remet un plan, on vous signale que sans nouvelles de vous à la fermeture, on ira à votre recherche, et vous voilà partie sur une trentaine de kilomètres. Partout des traces d’animaux, des baies superbes à collecter pour ses tables de fêtes (fan de Martha Stewart, je ne sors pas sans mon sécateur). C’est si vaste que vous avez toutes les chances de ne croiser personne, la piste de crête suit un fin ruban damé entre deux à pic… voici un chalet pour faire halte, les bûches sont prêtes dans la cheminée, les plaids sur les fauteuils, les cookies dans la boite en fer, les mugs sur l’étagère, personne n’aurait l’idée de repartir avec la réserve de thé de Noël, ou sans préparer le feu… C’est aussi cela « le meilleur de l’Amérique ».
" Changement d'herbage, réjouit les veaux "
Quand j’ai envie de m’alléger de tout ce qui me pèse, physiquement et mentalement, je pars dans le Bregenzerwald. Cette pointe de l’Autriche, enserrée entre Suisse et Allemagne, n’est reliée au reste du pays que par un col, fermé en hiver. Cette vie en autarcie a donné un caractère très particulier à la région : entraide, autonomie, survie, usage de la nature, écologie, tout ici bénéficie d’une réflexion, d’un traitement et d’une vision pleine de bon sens. Chaque village est architecte de son environnement, et chaque habitant participe à la mise en commun des décisions. Ainsi, c’est la surface de l’herbage qui détermine le nombre de vaches à y mettre et non l’inverse (donc pas de CO² non digéré dans l’air), le village a voté pour une unique chaudière participative, que chacun fournit en chutes de bois, la ferme Metzler fournit tous les hôtels de la vallée en produits de soin au petit lait (personne ne chercherait à se démarquer avec une célèbre marque étrangère !). À Bezau, depuis trente ans que je le connais, le restaurant du village a toujours sa table commune où s’assoient les vieux heureux de se retrouver, et elle est souvent plus animée que les tables à deux occupées par les jeunes couples ! Le tafelspitz, le bœuf à la ficelle, est au menu du dimanche, les cloches de l’église sonnent les heures (et personne ne trouve à y redire), le charcutier connaît le fermier qui connait les cochons dont il fait des saucisses et les vaches traversent le village à l’heure de la traite. Cette simplicité, cette paix qui imprègne jusqu’au paysage confine au bien-être. Tout est à sa place, tout fait sens, ce « changement d’herbage » fait un bien fou.
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